Friday 30 May 2014

Cartographie de l’anarchisme révolutionnaire


«L’histoire n’est pas neutre. À l’école, on nous fait croire que nous avons besoin de patrons et de gouvernements. On nous raconte que l’histoire est le récit de luttes entre gouvernements, entre armées, entres élites. On nous dit que ce ne sont que les riches et les puissantes qui font l’histoire, mais ce qu’on ne nous dit pas, c’est qu’il y a toujours eu des gens ordinaires pour lutter contre les patrons et les dirigeants, et que cette lutte des classes est le véritable moteur de la civilisation et du progrès.»
- Michael Schmidt
Avec Cartographie de l’anarchisme révolutionnaire, publié chez LUX en mai dernier, Michael Schmidt participe à réhabiliter l’impact historique des mouvements anarchistes. L’intérêt de cette précieuse - et trop courte - publication est triple.
Des mouvements de masse au niveau international
Elle sort tout d’abord l’histoire anarchiste des ornières dans lesquelles plusieurs - dont quelques anarchistes! - l’enfoncent : celles d’un mouvement surtout européen qui aurait eu pour principal déploiement l’épisode espagnol de 1936-1939. Michael Schmidt déconstruit avec brio ce mythe commode en survolant en cinq vagues (voir plus bas) la riche histoire des mouvements anarchistes à l’échelle internationale.
Des syndicats anarchistes rassemblant des dizaines - parfois des centaines - de milliers de personnes ont ainsi été les principaux moteurs de changement social dans plusieurs régions du monde : en Argentine, en Uruguay, à Cuba, en Afrique du Sud et aux Philippines. Leur présence s’est également fait sentir au Maghreb, en Afrique du Sud et en Asie du Sud-Est. De 1868 à 2012, Schmidt fait la récension non exhaustive - disponible en glossaire - de près de 200 organisations anarchistes révolutionnaires dans une centaine de pays et de régions. L’âge d’or de l’anarchisme est située entre les années 1880 et 1920, bien que certaines régions - notamment l’Asie - aient connu leur plus importante activité dans les années 1920 et 1930.
L’anarchisme était ainsi bien davantage qu’une affaire de barbus révolutionnaires européens, mais un ensemble d’outils et de pratiques vivantes mises de l’avant par des gens «ordinaires». Et ces personnes, lorsque confrontées aux répressions et défis de leur époque, ont offert des réponses variées et contextualisées que Schmidt prend le temps d’examiner. Chaque fin de chapitre se conclue ainsi par des réponses s’articulant grosso modo autour de la même «question complexe qui gît au coeur de toute révolution sociale et qui a donné tant de fil à retordre à tous les révolutionnaires de gauche : celle de la relation entre une organisation révolutionnaire et l’ensemble des exploité-e-s et des opprimé-e-s».
Des principes : une définition limpide et cohérente de l’anarchisme
Un second intérêt de l’ouvrage est qu’il offre une définition plus exigeante - et selon moi plus cohérente - de l’anarchisme. Dans les premières pages de son ouvrage, Schmidt dégage ce qu’il nomme la «grande tradition anarchiste» à travers de grands principes. Il écarte à cette étape quelques penseurs qui ont eu une influence sur les mouvements anarchistes, mais dont certaines dimensions de la pensée les excluent de la famille anarchiste. Pour différents motifs, Proudhon, Marx, Stirner et Tolstoi font ainsi partie du lot!
Des stratégies : le syndicalisme comme moyen privilégié des anarchistes
Au sein de cette famille anarchiste qu’il a balisée, Schmidt distingue deux approches stratégiques : l’anarchisme insurrectionnel et l’anarchisme de masse. Si le premier postule que les réformes sont illusoires et met l’emphase sur les actions armées, le second considère que les mouvements sociaux et syndicaux peuvent créer un changement révolutionnaire, et met l’emphase sur des gains au quotidien. Chacune des approches stratégiques a ses forces et ses limites, mais Schmidt privilégie de couvrir la seconde. Il souligne alors que le syndicalisme révolutionnaire - non pas celui des grandes centrales complaisantes du Québec - a constituté le principal moteur de l’anarchisme.
Il aurait été bien sûr intéressant d’avoir une histoire de l’anarchisme un peu plus généreuse. Cartographie de l’anarchisme révolutionnaire est d’ailleurs, à bien des égards, un succédané de Black Flame : The Revolutionary Class Politics of Anarchism and Syndicalism, un ouvrage plus complet paru en 2009. Mais en attendant d’avoir une traduction complète de cet ouvrage, il faut saluer cette parution en français!

LES CINQ VAGUES DE L’ANARCHISME
Ensemble de repères historiques indiquant les hauts et les bas du mouvement anarchiste.
1ère vague (1868-1894) : L’essor du grand mouvement anarchiste à l’ère de l’expansion étatique capitaliste.
2e vague (1895-1923) : Consolidation du syndicalisme anarchiste et révolutionnaire et des organisations spécifiques anarchistes en temps de guerre et d’assauts de la réaction.
3e vague (1923-1949) : Les révolutions anarchistes contre l’impérialisme, le fascisme et le bolchévisme.
4e vague (1950-1989) : Actions d’arrière-garde sur fond de guerre froide et de décolonisation des continents africain et asiatique.
5e vague (1990 à nos jours) : Résurgence du mouvement anarchiste à l’ère de l’effondrement du bloc soviétique et de l’hégémonie néolibérale.

SYNDICALISME
«Par syndicalisme, nous entendons une stratégie syndicaliste anarchiste révolutionnaire dans laquelle les syndicats - qui appliquent la démocratie participative et ont une vision révolutionnaire du communisme libertaire - sont considérés comme étant le moyen principal et immédiat de résistance aux classes dirigeantes et comme le noyau d’un nouvel ordre social basé sur l’autogestion, la planification économique démocratique et l’universalité de la communauté humaine.»
- Michael Schmidt

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